Petit article écrit par cadependdesjours.com
Publié le 8 septembre 2015 par Xavier Reusser dans Musique
En juillet à Avignon, c’est les vacances, toutes les expressions du mauvais goût sont envisageables : on peut marcher en tongs et en chaussettes en même temps, ou pieds nus sur le bitume fondu et les bris de verres de la fin de soirée de la veille en faisant du diabolo et en buvant de la 8,6, sentir fort de sous les bras et rester néanmoins en débardeur, arpenter les rues avec ses amis comédiens et déclamer qu’on joue « Antigone d’Anouilh tous les jours à 18h13 au Théâtre du Bon Vouloir, mais une Antigone revisitée, avec orchestre rock et reprises de Téléphone au ukulele, avec Créon en drag-queen, Ismène en bikini et Antigone sourde, muette et fan de la Famille Bélier, une comédie douce-amère sur les stéréotypes de notre époque, on rit beaucoup mais on n’en sort pas indemne, et ça plaît aussi aux enfants dès 7 mois et demi… et puis la salle est climatisée ! » Si, si, on peut, tout est possible, c’est le Festival d’Avignon ! Mais moi tout compte fait, j’aime bien ça, parce que si on a la chance d’éviter « Antigone with the wind » ou « Faites l’amour avec un belge » (un seul de ces titres est véridique, lequel ?) on peut aussi tomber sur de vraies perles.
Je suis allé voir Vas-y Piano !, du slam, au tout petit Théâtre du Chapeau Rouge. La scène est dépouillée : un piano droit et c’est tout. Vincent Truel commence à jouer, caché derrière l’instrument puis il se montre quand Dizzylez fait son entrée et c’est parti pour plus d’une heure de voyage.
Il envoie un premier texte, toujours un léger sourire aux lèvres, qui désamorce immédiatement la solennité, prend le spectateur à témoin ou complice (c’est selon) et permet de l’embarquer dans son monde en douceur, presque à son insu.
Les mots sont percutants et sonores. La musique est déjà dans le verbe. Les textes, sous une apparente simplicité, sont profonds, poétiques, subtils. Si l’émotion est toujours présente, l’humour affleure constamment aussi, si bien que quand nos yeux se mouillent (sur Cruciverbiste, Maint’nant t’es grande), on peut toujours prétexter que c’est d’avoir trop ri, et poser un voile pudique sur notre virilité mise en défaut. C’est la force de Dizzylez : parler de sujets graves, sérieux, tristes, émouvants, mais toujours proposer une écoute alternative au public, ne jamais le prendre en otage. Dans Vas-y Piano ! le spectateur est toujours libre de son interprétation. Dizzylez a une puissance d’évocation peu commune. Il nous entraîne à Chicago (Capone), dans l’Oklahoma (Géronimo sort de la brume), au coeur de son enfance (Cruciverbiste). On part vite, et loin. Et puis la dénonciation et la polémique sont présentes aussi, mais sans tomber dans les stéréotypes « alter-mondialistes-tous pourris-faisons la révolution », une révolte intelligente et intelligible, positive toujours…
Mais Vas-y Piano ! c’est aussi de la musique, et quelle musique ! On est d’abord scotché par la technique de Vincent Truel, puis on se laisse emporter par les vagues du piano. Les accompagnements musicaux sont souvent classiques, sans être élitistes. De grands compositeurs sont conviés à la fête : Maurice Ravel, Claude Debussy, Frédéric Chopin, Rémi Charmasson, Jean Ramadier, Vincent Truel.1
Surtout il y a une vraie complicité entre la musique et les textes, l’une n’est pas là pour mettre les autres en valeur, ni l’inverse (oui, la phrase n’est pas très heureuse, mais vous avez compris le sens, non ?)
Vincent Truel et Dizzylez se renvoient la balle tout le long du spectacle. Chacun a son ou ses moments en solo, son contact privilégié et personnel avec le public. La musique et les textes se complètent pour former un ensemble indissociable.
Le seul souci de Vas-y Piano ! au fond, c’est sa richesse. On a du mal à profiter pleinement de la musique, parce qu’on écoute beaucoup les textes, mais on a aussi du mal à jouir des textes tant la musique est essentielle. C’est un spectacle à voir plusieurs fois, dont on ressort plus riche, plus tolérant, plus humain, un spectacle qui nous rend meilleurs…
Source : cadependdesjours.com